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innie avait probablement réfléchi à toutes les façons dont il pourrait réagir rien qu’entre le moment où elle avait commencé à se déplacer vers le manoir et celui où elle avait ouvert la porte de la chambre. Mais en réalité, elle se foutait pas mal de sa réaction. Pour une fois, pour une seule et unique fois, elle n’était pas là pour lui. Elle était là pour elle. Qu’il s’enflamme, qu’ils se battent, qu’il reste impassible, qu’il l’insulte, qu’il soit muet comme une tombe, ça lui était complètement égal. Elle venait pour lui dire ce qu’elle avait envie de lui dire. Pour agir comme bon lui semblait. Sans limites, sans frontières. La vérité nue. Blessante, tranchante, irréfléchie. Il n’était plus un ami, plus un amour. Pas un ennemi. Juste un passé. Ou en tous cas, il devait en devenir un, d’après Lettisha. Il était clairement ce qui l’empêchait de lâcher prise. Il était visiblement la part d’humanité trop importante pour que la magie s’empare totalement d’elle et elle avait besoin de ce pouvoir. Alors aujourd’hui c’était un peu un test. Pourrait-elle enfin sortir d’ici guérie de lui. Refermer la dernière page de leur livre ? Peut-être bien. Peut-être pas. Même si ça n’était pas voyant, son corps avait réagi à sa présence, comme une brûlure réveillée dans sa poitrine. C’était mieux quand elle ne l’avait pas sous ses yeux, surtout ici, pour lui rappeler toutes les nuits muettes quand elle voulait lui crier son amour. Mais maintenant, elle pouvait crier. Rien ne l’en empêchait, seulement ce ne serait pas les mêmes sentiments dans ses notes aiguës.
« Si j’ai fini ? » Elle se mit à rire et posa sa main sur son épaule en le poussant à nouveau contre le mur.
« En fait je viens seulement de commencer. » Et refaire tout le manoir était assez tentant ! Elle pouvait être méprisante. Elle pouvait être forte comme Bonnie, vicelarde comme Damon, extrême comme Stefan et manipulatrice comme Katherine. Il ne le savait juste pas. Mais pourquoi lui faire découvrir maintenant ? Par besoin de revanche ? Ce n’était pas digne d’elle, ce n’était pas non plus ça, se détacher de lui, sinon elle ne serait pas tant en colère. Mais peu importait, elle ressentait encore nettement sa trahison comme s’il venait tout juste de lui révéler la vérité et de partir fêter ça avec sa « coupine Kath ».
« Tu viens chez moi au bout de cinq ans, six ans peut-être pour me dire que tu as eu une femme et un fils. Et tu pars comme un lâche. D’accord. Mais ne viens pas ensuite te faire passer pour la victime sur internet. On n’a plus quinze ans Damon, tu peux arrêter de jouer au lycéen. On dirait que tu racontes à tes petits potes que ton ex est une salope et qu’elle t’a fait cocu ! » C’était sorti tout seul. Elle réalisait seulement qu’elle n’avait pas du tout réfléchi à ce qu’elle allait lui dire. Malgré un voyage de presque deux jours, elle avait pensé à tout, à eux, à leur passé, à leur futur inexistant mais pas à ce qu’elle dirait. Ca viendrait petit à petit. Elle déballerait seulement son sac. Au fur et à mesure, sans ponctuation et surtout sans forcément de connexion logique.
« Newsflash : je ne t’ai pas quitté pour Klaus ! » Elle attrapa la mâchoire de Damon pour qu’il la regarde dans les yeux.
« Je ne t’ai pas quitté pour Klaus. » Répéta-t-elle en séparant un par un chaque mot sans détourner les yeux.
« Je t’ai quitté parce que je ne voulais pas te mêler à une guerre qui ne te concernait pas. Parce que je ne voulais pas que tu sois un putain de dommage collatéral. Alors vas-y insulte moi tant que tu veux, mais moi je connais mes raisons. J’avais peut-être tord mais je voulais juste te protéger et Dieu sait que des erreurs on en fait tous quand il s’agit de protéger quelqu’un qu’on aime. » Bien sûr qu’elle l’avait quitté par amour et uniquement par amour même s’il ne le voyait pas. Elle se remémora ces longues nuits après leur rupture, comme les mots qu’elle lui avait dit résonnait souvent dans son cerveau comme des coups de couteau. Va te faire foutre. Ca tournait en boucle jusqu’à ce qu’elle le retrouve enfin.
« A Noel j’ai compris que tu avais raison, que tu aurais pu te battre à mes côtés. MAIS PUTAIN QU’EST-CE QUE TU CROIS ?! IL A TUE KLAUS ET ELIJAH ! JE PEUX PAS PRENDRE CE RISQUE AVEC TOI ! » Je ne pouvais pas. Pouvais. Evidemment. Comme elle avait laissé sa rage sortir, l’électricité vacilla et l’ampoule éclata. Le verre venant lui lacérer le visage au passage. Elle jura et essuya le sang qui coulait de son front. Elle laissa échapper un soupire agacé et se recula de lui pour se calmer. Etonnement il semblait qu’elle aurait très bien pu s’en prendre à lui à ce moment là. Elle serra sa main pour faire passer sa colère. Combien de fois avait-il passé la sienne sur elle ? Cette question soulevée l’empêcha de continuer à être la sage Winnie que l’on attend d’elle.
« Tu n’as absolument aucune idée du mal que j’ai envie de te faire. » Souffla-t-elle comme pour elle-même. Son souffle était sombre.
« Je voudrais juste que tu comprennes ce que tu m’as fait, que tu le ressentes aussi. Mais tu sais quoi ? Je suis simplement pas assez cruelle pour ça. Et puis ça me prendrait trop de temps. J’ai pas cinq ans devant moi. » Ironisa-t-elle. Elle ramassa le pied du lit et s’approcha de lui, elle remonta la main de Damon et s’emparant de l’objet, elle prit l’élan avec son bras pour traverser sa peau. Maintenant il paierait pour ce qu’il lui avait fait. Le bruit fut sourd quand il rencontra le mur. Le premier choc, la laissa immobile. Elle n’était pas sûre de ce qu’elle allait faire. Elle le fit encore et encore sans le quitter des yeux.
Le pieu improvisé se jetait contre le mur, entre ses doigts. Au moment où elle avait initié le geste, elle ne savait pas s’il lui transpercerait la peau ou non. Qu’est-ce qui l’avait retenu ? Elle jeta le bois par terre et recula en passant sa main sur son visage à nouveau. Elle se faisait limite peur. Elle se recula et se laissa glisser le long du mur. Maintenant qu’il faisait presque nuit dans la pièce, au moins il ne la voyait pas quand elle reculait.
« Il était une fois une jeune fille qui s’appelait Winnie. Elle avait eu une autre identité, une autre vie. Une vie humaine, pas parfaite, mais sans épisode surnaturelle. Sans magie, sans vampire, sans famille non plus.. » Est-ce qu’elle lui avait déjà parlé de l’orphelinat. Sûrement pas. Quand on y arrive à 6 ans et qu’on est à moitié amnésique, ce n’est pas vraiment très vendeur… En fait, elle n’en avait jamais parlé à personne. Absolument personne. De toute sa vie. Jamais elle n’avait été raconter ce qu’elle était devenue après que Klaus lui ait effacé la mémoire et l’ait sauvé de Kai. Pourtant l’orphelinat et la solitude d’une gamine amnésique jouait beaucoup sur sa notion de « famille » un peu à l’instar de Enzo, au final, elle n’en avait pas eu avant les Mikaelson.
« Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ce chapitre que je voulais aborder. Winnie était jeune. Elle réalisait à peine que le monde magique était franchement quelque chose dont elle devait se tenir éloigner et pourtant, elle commençait déjà à s’y retrouver confrontée à chaque coin de rue. Tous ses proches étaient des vampires alors elle ne pouvait pas vraiment y couper, à part en fuyant totalement la ville. Mais Winnie cherchait une famille à cette époque là. Pas les Mikaelson, les Parker. Et Klaus promit de l’aider à les retrouver. C’est comme ça que tout a commencé en fait. C’est en cherchant ma famille qu’ils le sont devenus. » Effectivement il était facile de la juger sur le fait qu’elle ne semblait pas faire passer les Parker en premier, mais Winnie avait passé des années à les chercher. A les traquer. A bouger de ville en ville à leur recherche avant d’arriver à Mystic Falls. Et on avait tendance à l’oublier. Les Parker n’avaient pas voulus être trouvés alors que les Mikaelson n’avaient pas voulu être perdus…
Elle chassa la parenthèse d’un geste de main qui fit siffler l’air, elle reprit son histoire en parlant à nouveau à la troisième personne, sûrement pour prendre du recul.
« Winnie travaillait en tant que serveuse au Mystic Grill puisqu’elle avait eu vent que sa sœur Liv y avait elle-même servi. Un soir, un homme y vint. Il avait la quarantaine, élégant, imposant. Quelque chose de résigné dans le regard, de menaçant peut-être. D’attirant aussi. Dès le premier instant, cette idiote fut intriguée. Il s’appelait Peter. Peter Moore. C’était un chasseur. Bien plus âgé qu’elle. Tout son opposé. Toujours sur la défensive. Il était le feu et elle était l’eau. Elle était bien plus douce, bien plus naïve à cette époque. Autour d’elle, on la mit en garde. Peter Moore était un fou, disait-on, mais elle ne voulait rien entendre. Peu lui importait ce qu’il avait fait, tant qu’il ne le faisait plus. Et puis tu sais, c’était difficile à imaginer ou à croire. Avec elle, il était doux, galant et rien d’autre ne comptait. Elle avait l’impression d’être une princesse et il lui répétait toujours qu’elle devrait être avec un homme meilleur. Qu’elle méritait mieux que lui. Mais elle, elle ne voulait pas savoir. Elle disait que ça n’avait pas d’importance. Elle était sincère quand elle disait ça parce qu’elle le croyait dur comme fer. Même s’il chassait des vampires et qu’elle en aimait beaucoup. Il ne blesserait plus ses proches pour ne pas lui faire de mal, elle en était persuadée. Mais un jour, elle apprit ce qu’il avait fait. Elle apprit toute la vérité sur lui et… C’était tellement abominable qu’elle l’abandonna. Et juste comme ça… » Elle claqua des doigts.
« C’était terminé. »Elle se sentait affaiblie. Comme après un long combat. Fréquemment elle et Damon abordait le sujet de Klaus. Ils se disputaient même à son sujet. Mais Peter… elle n’en avait jamais reparlé. C’était tabou. Elle s’empêchait même de penser à lui au départ et avec le temps, cette interdiction imposée par elle-même était devenue une habitude. Pourtant, c’était son premier amour. Court, très court, trop court peut-être, mais c’était celui qu’on n’oublie pas. Et aucune interdiction ne suffisait à contrer ça. Elle s’en rendait compte car même au cours de ce long discours, elle ne décrivait pas ce qu’elle avait découvert au sujet de cet homme.
« Je pense à lui encore trop souvent. » Elle se leva et revint vers lui.
« Mais je ne suis plus cette fille-là. Je n’ai plus jamais été cette fille-là après avoir connu la vérité sur lui. Je ne l’ai jamais été avec toi et je n’ai jamais prétendu que je ne voulais pas connaître ton passé. Au contraire, je voulais savoir. J’ai toujours voulu savoir. C’est en ne disant rien que tu nous as fait du mal. » Elle mit sa main dans sa poche, jouant apparemment avec quelque chose dedans.
« Je voulais te dire que oui, je ne t’avais pas tout dit sur moi non plus. Mais seulement parce que j’estimais que ça ne changerait pas les choses entre nous. » Un fils et une femme… Ces cinq mots avaient longtemps fait écho contre son âme.
« Tu es un vampire et comme tu me l’as dit, je n’aurais pas été surprise que tu aies eu un long passé sentimental avant moi mais ça… Qu’est-ce que j’ai pu faire pour que tu aies… complètement décidé de ne jamais m’en parler ? » Elle leva la main comme si elle ne voulait pas qu’il réponde, qu’elle ne voulait pas savoir.
« Tu n’aurais pas dû partir, Damon. Tu es venu pour me dire la vérité et tu es parti. Evidemment que je ne peux plus te regarder en face. Tu t’attendais à quoi !! Tu es parti passer la soirée avec Katherina ! Comme si tu t’en foutais… Bien sûr que j’ai envie de te… » Faire mal ? Faire souffrir ? Elle arrivait au bout de ses mots pour l’instant.
Elle se mit à rire jaune. C’était un rire cynique et triste. Comme une fausse note.
« Dire que c’est aujourd’hui que je te parle de moi. On est vraiment affligeants en communication. C’est dommage que tu ne saches pas écouter. Ca fait tellement longtemps que j’ai envie que tu me connaisses. Que j’ai envie que tu sois celui qui me connaisse le mieux. Et ça n’a jamais été le cas. »